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Interview avec Rachid Ennassiri « Les SERD permettent à un ménage de produire sa propre énergie... et même d’en revendre une partie »


Rédigé par Safaa KSAANI Lundi 3 Novembre 2025

Face à une demande énergétique croissante, le rapport de l'Initiative Imal pour le Climat explore le potentiel des Systèmes Énergétiques Renouvelables Décentralisés (SERD). Nous avons rencontré Rachid Ennassiri, Directeur de cette initiative, pour décrypter ce système.



- Vous avez présenté, jeudi dernier, les résultats de votre dernier rapport intitulé : « Le potentiel des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés au Maroc ». D'abord, qu'est-ce qui a motivé ce choix ?

- Le Maroc se trouve à un moment charnière de sa transition énergétique : la demande en électricité augmente fortement, sous l’effet de la croissance économique, démographique et industrielle. Dans ce contexte, l’équipe de l'Initiative Imal pour le Climat et le Développement a souhaité explorer une voie encore peu étudiée : la production d’électricité décentralisée à partir des toitures, véhicules et équipements des citoyens. Le rapport répond à l'orientation stratégique du Nouveau Modèle de Développement (NMD), qui identifie la production décentralisée comme un levier majeur de compétitivité, de fiabilité et de résilience du système électrique national. L’étude vise donc à montrer comment les ménages, entreprises et collectivités peuvent devenir acteurs de la transition, et non plus de simples consommateurs, grâce au solaire sur toitures, au stockage et à la mobilité électrique.

- Vous faites l'éloge du potentiel des SERD. En quoi consiste ce système ?

- Les Systèmes Énergétiques Renouvelables Décentralisés, ou SERD, reposent sur une idée simple : produire et gérer localement l’électricité à partir de ressources renouvelables, tout en restant connectés au réseau national. Concrètement, un SERD peut combiner des panneaux solaires installés sur les toitures, des batteries de stockage, des bornes de recharge bidirectionnelles pour véhicules électriques et des outils numériques de pilotage de la consommation. Ces systèmes permettent à un ménage, un hôpital, une école ou une entreprise de produire sa propre énergie, de la consommer, de la stocker et même d’en revendre une partie. Lorsqu’ils sont agrégés à l’échelle d’un quartier ou d’une région, ces dispositifs deviennent de véritables centrales virtuelles capables d’apporter au réseau national des services de flexibilité, d’équilibrage et de stabilité. En d’autres termes, le consommateur devient aussi producteur : un « prosumer ».

- Quels en sont les bénéfices socioéconomiques ?

- Les bénéfices des SERD sont multiples, à la fois économiques, sociaux et environnementaux. Selon l’étude, le développement du marché marocain pourrait créer entre 13.000 et 43.000 emplois d’ici 2035, en fonction du rythme de déploiement du solaire en toiture. Ce sont des emplois durables, locaux, couvrant les métiers de l’installation, de la maintenance et du service. Sur le plan économique, les investissements associés représentent entre 9 et 31 milliards de dollars de marché potentiel, tout en réduisant la facture énergétique nationale et la dépendance au charbon importé. Les gains environnementaux sont également majeurs : jusqu’à 48 millions de tonnes de CO₂ pourraient être évitées d’ici 2035 dans le scénario optimiste, soit plus de la moitié des objectifs de réduction, fixés dans la Contribution Déterminée au niveau National 2026-2035 (CDN 3.0). Enfin, ces systèmes renforcent la résilience des territoires et la qualité de vie des citoyens en réduisant la pollution de l’air, en améliorant la santé publique et en stabilisant les coûts de l’énergie.

- L'enquête a mis l'accent sur la possibilité de transformer les toitures en panneaux solaires pour stocker et vendre l'électricité par les ménages. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

- Le rapport montre que les toitures marocaines représentent un gisement énergétique considérable, capable de produire jusqu’à 66,8 TWh d’électricité par an, soit l’équivalent d’environ 28,5 GW de capacité installée à l’horizon 2035 (scénario optimiste). En installant des panneaux photovoltaïques sur les toitures des bâtiments résidentiels, commerciaux et publics, chaque foyer ou entreprise peut couvrir une partie importante de sa consommation et injecter le surplus sur le réseau. Cette électricité décentralisée peut également être stockée dans des batteries domestiques ou dans les véhicules électriques eux-mêmes, grâce à la technologie dite Vehicle-to- Grid (V2G)/Vehicle-to-Building (V2). Selon les projections de la Stratégie Nationale Bas-Carbone, le Maroc comptera environ 2,5 millions de véhicules électriques en 2035, représentant une capacité de stockage équivalente à 91 % de la demande nationale. En combinant toitures solaires et mobilité électrique, le pays pourrait transformer ses bâtiments et ses voitures en véritables actifs énergétiques.

- Quels sont les principaux obstacles rencontrés ?

- Malgré ce potentiel, plusieurs défis freinent encore le déploiement des SERD au Maroc. Le premier est d’ordre réglementaire. En effet, la loi 82-21 sur l’autoproduction d’électricité, bien qu’adoptée, reste à opérationnaliser à travers ses décrets d’application et les mécanismes opérationnels de comptage bidirectionnel. Le second concerne l’absence d’un registre national des installations solaires, qui empêche de suivre précisément la dynamique du marché et ses retombées. À cela s’ajoute la reconnaissance encore limitée des entreprises de services énergétiques (ESCO), qui ne peuvent pas toujours accéder aux financements. Enfin, la modernisation du réseau électrique, la mise en place de smart grids, la formation des techniciens et la sensibilisation des ménages demeurent des conditions indispensables pour généraliser l’usage de ces systèmes à grande échelle.

- Enfin, quelles actions possibles, dès 2026, pour passer du bâtiment flexible aux centrales électriques décentralisées ?

- L’étude formule une feuille de route claire pour passer du bâtiment flexible aux centrales électriques décentralisées. Dès 2026, elle recommande d’investir massivement dans les réseaux intelligents pour intégrer la production distribuée, de promouvoir la gestion dynamique de la demande via des tarifs incitatifs et des programmes d’effacement. Il s’agit aussi de mettre en œuvre la loi 82- 21 sur l’autoproduction avec des mécanismes transparents de compensation financière, d’introduire des codes du bâtiment favorisant l’intégration du solaire et des technologies vertes, de créer un Fonds national d’intégration des SERD pour soutenir les ménages et les PME, lancer la plateforme « V2X Maroc » afin de valoriser la flexibilité énergétique des véhicules électriques, et de renforcer la gouvernance institutionnelle pour mieux coordonner les politiques publiques. En somme, le Maroc dispose aujourd’hui de tous les atouts techniques et humains pour faire de la production décentralisée un pilier majeur de sa transition énergétique et un moteur d’inclusion économique dès 2026.